Des héros forts qui ne pleurent jamais, des filles pas souvent héroïnes qui se retrouvent à materner les garçons rentrés de la chasse au dragon, de la poupée rose à foison contre des voitures bleues ... "On ne nait pas femme, on le devient". Dès 1949, Simone de Beauvoir dénonce la hiérarchie des sexes distillée dès le plus jeune âge dans les chansons, les légendes et la littérature pour enfants. Sur ce point en particulier, et alors que s'achève la 28e édition du salon du livre et de la presse jeunesse, quel bilan ?
De l'origine des premiers stéréotypes ...
Livre en tissu ou en plastique pour accompagner le bain, les enfants peuvent être invités à se pencher sur un livre dès trois mois. C'est donc très jeune, d'abord avec des images et la manière dont les parents les leur commentent, ensuite avec des récits plus construits que les enfants sortent de leur univers familier et se construisent une représentation du monde. Tout en stimulant leur imagination, les albums et les livres leur offrent des valeurs et les amènent à intérioriser un certain nombre de normes (adequation.org,2009).
Outre les contes populaires et de tradition orale, nous datons l’apparition des premiers stéréotypes en littérature au 19e . Le 19e est en effet un siècle de progrès en pédagogie. L'enfance est considérée comme une étape dans la construction de l'individu et devient l'objet de toutes les attentions. Un auteur marquant de cette époque est la Contesse de Ségur. Ses romans sont associés à la célèbre Bibliothèque Rose (Hachette - Rose pour les fille / Verte pour les Garçons). Bien qu'en lien étroit avec le contexte historique, les petites filles y reçoivent une éducation stricte et le rôle de devenir une parfaite petite femme au foyer, tandis que les hommes y sont décrits fumant leur pipe, lisant le journal et ayant une vie sociale. Durant ce siècle, les thématiques des livres sont bien distinctes selon qu’ils s’adressent aux garçons ou aux filles. Les premiers liront des romans d’aventures et de héros (Robinson, récit de vie d’explorateurs ou de grands hommes...), les secondes recevront plutôt des contes, des récits populaires dans lesquels les héroïnes restent à la maison, sont dociles et dont la destinée est d’épouser un prince. Cette tendance perdurera et l’on peut noter à cet égard les personnages emblématiques de Martine, parfaite petite ménagère ou Bécassine, laide et nigaude. Nous sommes donc ici en présence de stéréotypes issus de la morale et de la tradition.
Aujourd'hui
Nous comptons dans les albums pour enfants, deux fois plus de héros que d'héroïnes et dix fois plus, lorsque les personnages sont des animaux "humanisés". Les filles continuent d'être surreprésentées dans des activités à la maison, secondant à l'occasion leur maman dans des tâches maternantes ou domestiques. A l'opposé, les petits garçons s'activent avec des copains à l'extérieur. Ils y font des bêtises ou du sport. Aujourd’hui, malgré l’engagement de plusieurs éditeurs jeunesse, ces stéréotypes ont la peau dure. En effet, difficile de remettre en cause des faits établis depuis des siècles et qui résident dans une conception traditionnelle de la littérature pour enfant (la fille est une princesse et le garçon un chevalier). De plus, les éditeurs usent de cet attachement au traditionnel (souvent des parents) à des fins commerciales.
Extirper les fille du rose... pas facile !
Outre la littérature, nombreuses sont les institutions qui contribuent au renforcement des traditionnels schémas en matière de genre. Dans les médias, les femmes sont essentiellement présentées comme des objets d'action publique, comme des victimes et des personnes investies dans le soin des autres. L'image donnée des hommes en revanche, est généralement celle de personnes créatives, fortes, intelligentes et pleines d'initiatives. Si à propos des hommes les médias mettent en avant leur puissance et leurs réalisations, ils privilégient chez les femmes, même les plus accomplies, l'apparence, qui reste les concernant, le premier critère d'évaluation. Ainsi la télévision, la radio, les manuels scolaires, les livres pour enfant, les films, les jouets et quantité d'autres moyens de communication électroniques, assurent le maintien et la transmission des clichés d'antan.
Des maisons d'édition qui ouvrent la voie
Malgré cette tendance de la littérature de jeunesse à véhiculer les bonnes mœurs de la société, certains auteurs et éditeurs commencent à combattre cet état de fait, cherchant à susciter une prise de conscience chez les jeunes lecteurs. Ils mettent alors en scène des personnages sortant des rôles traditionnellement assignés à leur sexe, mettant en branle les vieux schémas classiques. C'est le cas de la maison "Talent Hauts" avec sa collection "Fille=garçons". Certains titres renvoient ironiquement à la ségrégation des genres en littérature pour enfant. Ils sont en effet une réactualisation d'ouvrages stéréotypés qui pullulent chez les concurrents : La princesse et le dragon, Une reine trop belle, Blanche et les sept danseurs... La ligne éditoriale ne s’éloigne guère de l’imaginaire de l’enfance : les personnages traditionnels des contes de fées ou d’aventures demeurent. Cependant, il y a bien un déplacement des conventions, puisque la jeune-fille dans bien des cas est l’héroïne de l’histoire ; ce qui a pour conséquence de créer de la nouveauté dans l’attendu, avec un manifeste retournement des codes. Les traits de caractères que sont le courage, la force, la persévérance attribués généralement aux héros garçons sont clairement alloués aux filles. Ainsi peuvent-elles rêver de liberté, se battre en compétition et se salir. Les personnages féminins ne correspondent plus aux normes de socialisation mise en avant dans la littérature de jeunesse en général. Elles se présentent comme des êtres complices, des anti-Martines en somme. Des héroïnes qui imaginent aussi tout ce qu'elles feront une fois adultes. De championnes de football à vétérinaires dans la jungle, de peintres en bâtiments aux looooongs cheveux à chasseuses de dragons, le tout en embrassant les garçons les premières parce qu'il n'y a pas de raison que reviennent aux garçons de faire les premiers pas !
Maud Massot-Pellet
Sources utiles
L’association Adéquations a mis en ligne plusieurs outils, dont un livret sur la littérature jeunesse non sexiste à télécharger gratuitement, avec une bibliographie. L'association "Lab-elle" propose une liste de 300 livres dans la même veine.
http://www.talentshauts.fr