Certains diront qu’à l’aube du 21e siècle, communiquer n’est plus un devoir, une valeur, ni même une panacée. Que le discours entretenu par les médias, n’est souvent qu’une production rhétorique de plus, dans la longue lignée des vérités arrangées ou des histoires racontées. Sans entonner ici un hymne rétrograde de « sus au progrès », il est toutefois à noter que la communication ne se pose pas en des termes très différents de ceux rencontrés il y a 2500 ans.
FABLE du latin fabula (propos, récit), apparaît dans notre langage dans le sens de « récit imaginaire, conte, apologue, voire mensonge ». Voltaire en son temps écrira que « Les fables sont l'histoire des temps grossiers ». Au 19e, le sens de "récit mensonger ou récit invérifié" est fréquent et comme le genre le veut, la plupart des fables se terminent par une affabulation...
Affabuler, pourquoi ? Parler sans détour impliquerait de dire toujours la vérité. Or les conséquences sont assez peu conciliables avec une vie sociale. Dans nos rapports aux autres, la politesse (voire la galanterie) est un usage indispensable pour entretenir des rapports sereins. Une personne qui dirait ce qu’elle pense au nom de la vérité deviendrait asociale et infréquentable (qui souhaiterait en effet s’entendre dire ses quatre vérités à longueur de temps ?).
"Nous" entretenons donc l'art de raconter des histoires pour séduire, convaincre, se faire bien voir ou se faire accepter. Dans un monde où le rapport au réel oscille entre téléréalité et chaînes tout-info, la fiction semble devenue une norme sous-jacente, un besoin, une échappatoire. Nous entrons dans un « âge narratif » avec un phénomène qui se répand dans toutes les sphères : politiques, entrepreneuriales et surtout publicitaires.
La communication narrative est en effet le leitmotiv du marketing d’aujourd’hui : les publicités nous racontent des histoires plutôt que de tenter de nous convaincre de la qualité d’un produit.
La campagne “Venez comme vous êtes”, de McDo est un exemple d’humanisation de la marque, d’inscription de l’enseigne dans le quotidien de tous et, plus loin encore, d’une participation de McDo à des sujets comme la discrimination ethnique, le respect de l’orientation sexuelle, la mondialisation, l’identité nationale…
Les fabricants de parfums ne vendent pas leur produit en disant : « Mon parfum sent ceci et cela ». Ils s’attachent à créer un mythe. Un univers. Une fiction.
C’est ce que C. Salomon nomme le « storytelling » : comment les faits peuvent être mis en scène de telle sorte que l’histoire racontée a finalement plus d’impact que tout argumentaire sur le même fait. Ainsi à partir d’une simple photographie, on construit un récit que l’on met en image afin de faire passer un message auprès de publics avides de belles histoires.
Attachons-nous maintenant aux politiques. Ils ne cherchent plus à convaincre par des arguments, des idées, des valeurs, des échanges de propos. Le discours qui passe le mieux est celui qui vise à émouvoir, à persuader avec des images choisies. C’est sous Reagan que l’on a inventé "le candidat qui pourrait être n'importe qui, n'importe quel acteur d'Hollywood, qui peut être élu à condition qu'il ait une histoire à raconter, une histoire qui dise aux gens ce que le pays est et comment il le voit".
On passe du registre rationnel au registre émotionnel. Il faut frapper les esprits et à l’image de l’orateur d’Athènes dans le « Pouvoir des Fables », raconter au peuple des histoires qui le marqueront, qu’il retiendra et qui influenceront son jugement.
Dans ses Contes, Perrault adopte une démarche similaire : l’histoire racontée est donnée comme un divertissement mais il sert en réalité d’autres fins, celle de transmettre un message à valeur moral.
Parfois les histoires permettent à une majorité d’accéder à des réalités complexes. C’est le cas des paraboles utilisées dans la Bible pour transmettre un enseignement religieux. Elles constituent des images à valeur pédagogiques et offrent de multiples exégèses (interprétations).
Le discours du plus fort, faute d'être le plus vrai a donc toujours le dernier mot.
Je sollicite pour cela la morale d'une fable de Monsieur de La Fontaine : "La raison du plus fort est toujours la meilleure" : la remarque n'est-elle pas cynique ? La force n’a pas besoin de raison pour dominer, le discours du maître l'emporte toujours sur celui de l’esclave, non parce qu’il est plus vrai, mais parce que le maître a pour lui la force (des armes, de la position sociale, de l’argent).
Hier, après avoir noirci le tableau et nos plages, Total nous a abreuvé de storytelling sympathique, où un pompiste sauvait une demoiselle en plein chagrin d’amour, …Demain ce sera au tour de BP d’arrêter, en plus du flux de pétrole, de nous raconter des histoires avec un petit h, si l’entreprise ne veut pas rester dans celle avec un grand H, comme la boîte qui aura causé la plus grande catastrophe écologique de ce début de 21e siècle.
Alors je m’interroge. Le dialogue social ne devrait-il pas avoir pour fin la conquête du vrai, et non la recherche de la gloire ? Comme Platon en son temps qui opposait à l’habilité du discours de Gorgias, la vertu de la dialectique, visant non la prise de pouvoir sur l’autre, mais la construction commune d’une vérité. La question est éthique. A quoi bon communiquer si ce n’est pour que les hommes ne se sentent plus solidaires et que l’humanité soit mieux à même de diffuser les bienfaits du savoir, de favoriser le débat sur les droits de l’homme, la justice, la beauté ?
Notre époque est demandeuse d’émotions mais semble cruellement manquer de mythes. Alors il semble urgent de changer la donne, pour que nous puissions vivre heureux …
Car c’est bien ainsi que se sont toujours terminées les contes et les histoires.
Maud Massot-Pellet